Sainte Jeanne d'Arc et saint Michel
hérauts de l'amour de la Patrie.
Lorsque
Jeannne d'Arc entendit une « voix » céleste lui donner
mission de « venir au secours du Roi de France », son
univers s'illumina d'une clarté surnaturelle,
rayonnant jusque dans l'ordinaire
de sa vie naturelle, ce dont elle témoigna lors de son Procès le jeudi
22 février 1431, en la salle de parement du château de Rouen :
« -
Quand j'eus l'âge de treize ans, j'eus une voix de Dieu pour m'aider à me
gouverner. Et la première fois, j'eus grand peur. Et vint cette voix environ
l'heure de midi, au temps de l'été, dans le jardin de mon père. Je n'avais pas
jeûné la veille. J'ouïs la voix du côté droit de l'église, et rarement je
l'ouïs sans clarté. En vérité il y a clarté du côté où la voix est ouïe, il y a
communément une grande clarté. Quand je vins en France, souvent j'entendais
cette voix »
Ce
joyau d'une communication mystique par laquelle le Ciel interfère dans le
déroulement des affaires terrestres, est manifestement enchassé dans un espace bien déterminé, à un moment
précis de l'histoire. Aussi, ce qui semblerait devoir échapper à l'emprise des contingences physiques et psychiques ordinaires, y est, au
contraire, bien enraciné. Dieu révèle ainsi que les réalités éternelles et
celles de ce bas monde subsistent dans une relation paradoxale et mystérieuse,
faisant comparaître :
-l'immanence
à la lumière de la transcendance,
-le
donné au regard du don,
-le
mercantilisme du langage autocentré à la gratuité du Verbe Créateur.
Cette
affirmation d'une voix céleste, audible ici-bas, nous rappelle le précédent de
la « voix dans le désert » annonçant le Précurseur sur
un présentoir historico-géographique : « La quinzième année du
règne de Tibère-César, Ponce Pilate étant gouverneur de Judée, Hérode Tétrarque
de Galilée, Philippe son frère, Tétrarque d'Iturée et de Trachonitide
etc... » (cf. Lc. III, 1-2 ). Cette
accumulation de précisions factuelles tendait
à écarter toute interprétation
subjective du phénomène auditif en confirmant
la réalité objective de cette « voix » si déterminée dans
le temps et l'espace.
Or
la première raison que Jeanne attribue à la dite voix est de « l'aider
à se gouverner ». Relevons ici son parallèle avec l'expression du
Créateur qui, après avoir noté qu' « il n'est pas bon que l'homme
soit seul », concluait « il faut que je lui fasse une aide
qui lui soit assortie » (Gn. II, 20). Précisons cette notion
d'aide : nous savons que lorsque le Seigneur crée l'être humain « à son
image – à l'image de Dieu, il le crée
homme et femme ». Ceci vise, non pas la simple génitalité reproductive dont tous les animaux sont déjà pourvus, mais, bien au-delà, une sexualité qui
élève l'être humain au niveau d'une « image de Dieu » dans sa
dimension de personne, sujet de relation. En effet, après avoir dû nommer tous les animaux, l'homme
constata ne pas y avoir trouvé « d'aide qui lui fut
assortie ». Intervint alors la création de la femme, avec l'aide de
laquelle l'être humain put désormais vivre en véritable « image de
Dieu » c'est-à-dire en « personne » libérée de son
individualisme animal, de sorte que l'évanescente cité humaine reflétât
joyeusement l'éternelle paix divine.
Hélas
les constitutions actuelles de nos sociétés ne veulent considérer que l'individu, entité manipulable, et non la personne dont elles devraient alors
respecter la dignité. Or, sous la conduite de saint Michel, Jeanne devient le
héraut du salut de la patrie terrestre, par amour de la Patrie Céleste. C'est
pourquoi chacun peut reconnaître dans sa
vie l'archétype de l'amour de la « terre des pères », image incarnée
de celui que les Saints du Paradis rendent au Roi des Cieux.
Ainsi
la geste de Jeanne « au secours du roi de France » porte
au-delà de la France et fait de la Pucelle d'Orléans l'Institutrice, pour ne
pas dire l'Apôtre, de l'amour de la patrie terrestre, d'une patrie charnelle
bien enracinée dans sa culture propre, aux antipodes de toute uniformisation
totalitaire.
Or
l'amour du prochain n'est jamais si bien trahi que par sa parodie envers l'étranger, surtout lointain, qui dispense de toute vraie miséricorde ; de
même, l'amour proclamé de la terre entière semble l'hypocrisie idéale pour
s'abstenir d'aimer sa propre patrie. Comment avons-nous pu oublier, jusque dans
les hautes hiérarchies, que le Sauveur s'est incarné dans un peuple déterminé,
mais non chez son voisin, et en a observé avec soin les mœurs propres jusque
dans leurs particularismes culturels ou
cultuels ? [cf. « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues
de la maison d'Israël »( Mt.XV, 24)].
Pour
que l'amour de notre patrie charnelle soit effectivement « l'image
ressemblante » de celui des Saints envers leur Père Céleste, encore
doit-il être pur de toute haine à l'encontre de l'adversaire combattu. Tel fut
bien l'exemple donné par Jeanne au long de son épopée guerrière.
Ainsi de sa première sommation aux Anglais au
sortir de « l'examen de Poitiers » : - « Vous, Suffort, Classidas et
la Poule, je vous somme, de par le Roi des Cieux, que vous vous en alliez en
Angleterre » [Cf. Jeanne d'Arc
par elle-même et par ses témoins – de Régine Pernoud, au Livre de vie, Ed. du
Seuil p. 63]
Puis
lors de la campagne d'Orléans, le 5 mai 1429, sa troisième sommation :
–
« Vous,
Anglais, qui n'avez aucun droit sur le royaume de France, le Roi des Cieux vous
ordonne et mande par moi, Jeanne la Pucelle, que vous quittiez vos forteresses
et retourniez dans votre pays, ou sinon,
je vous ferai tel « hahay » dont sera perpetuelle mémoire »
(idem p. 100).
Lors de la prise des Tourelles qui
libère Orléans, ce témoignage de Jean Pasquerel :
–
« Jeanne
revint à l'assaut, criant et disant :
« - Classidas, Classidas, rends-toi, rends-toi au Roi des
Cieux ; tu m'as appelée « putain », moi j'ai grand pitié de ton
âme et de celles des tiens ». Alors Classidas, armé des pieds à la tête,
tomba dans le fleuve de Loire et fut noyé. Et Jeanne, émue de pitié, commença à
pleurer beaucoup sur l'âme de ce Classidas et des autres noyés en grand
nombre » ( idem p. 105 ).
–
Comment résumer ce
qui précède, sinon par le grief qu'elle oppose aux Anglais devant les juges de
Rouen : - « Que ne partaient-ils de France, et ne
retournaient-ils pas en leur pays ? » répond-elle à Jacques de
Touraine qui l'interroge.
C'est
précisément pour avoir su montrer concrètement que l'amour préférentiel des
siens, loin d'être une dévalorisation des autres, est essentiellement une
volonté, incarnée dans le réel, du bien commun de son propre pays, en
ses trois dimensions :
- la forme, ici la culture propre à chaque patrie,
- la mesure, qui permet la survie de la dite forme, fût-ce au prix
de son propre sacrifice,
- l'ordre,
amour allant du plus faible au plus fort ; du plus proche au plus éloigné.
Le
mondialisme, qui n'est que le rejet désordonné et démesuré de toute forme
propre, étant exclu, l'épopée de Jeanne s'offre en exemple d'amour de la
patrie, à toutes les patries terrestres.
D'autant que le premier promoteur de cette cause fut paradoxalement ce seigneur anglais s'exclamant spontanément lors du
Procès de Rouen le 27 février 1431:
–
« Vraiment
c'est une bonne femme ! que n'est-elle anglaise ! »
Alors pourquoi pas sainte Jeanne d'Arc docteur et
patronne de l'amour de la patrie ?
GF MGE CSMA